Histoire de Pérouges (Ain)
Perchée sur une colline de la plaine de l’Ain, à une trentaine de kilomètres de Lyon, la cité médiévale de Pérouges est un véritable livre d’histoire à ciel ouvert. Classée parmi Les Plus Beaux Villages de France, elle séduit aujourd’hui les visiteurs par ses ruelles pavées, ses maisons en pierre dorée et son atmosphère hors du temps. Mais avant d’être un lieu de promenade, Pérouges fut un haut lieu de passage, de commerce et parfois de conflits.
Pérouges n’est pas seulement une carte postale médiévale : c’est une histoire de résistances, d’allers-retours de souverainetés et de renaissances patiemment tissées par ses habitants. Il y a dans les pavés de Pérouges une mémoire de pas pressés, de métiers qui chantent et de frontières qui bougent. Ce village n’est pas un décor figé, mais la trace vive d’une communauté qui a appris à se protéger, à négocier et à renaître.
Voici le récit condensé d’un village qui a traversé les siècles sans perdre son âme.
Pérouges : un voyage au cœur de l’histoire médiévale
Aux origines de Pérouges
Installée sur un éperon dominant la plaine de l’Ain, Pérouges n’a pas toujours occupé sa position actuelle. Les premiers témoins d’occupation se concentrent dans la plaine voisine, signe qu’avant d’embrasser la hauteur, les hommes ont d’abord cherché l’eau, la terre et les voies naturelles. Suites aux fouilles effectuées sur le site dit de la Croix Tombée, on peut confirmer une présence humaine à Pérouges depuis le Chalcolithique (environ -2500 à –1800).
Plusieurs traditions locales évoquent l’antique “Peroges/Perogiae”, mais les sources écrites sûres n’apparaissent qu’au Moyen Âge, et les érudits locaux mettent en garde contre une filiation directe gauloise du site perché ou une étymologie “venue de Pérouse” érigée en certitude. Le nom apparaît dans les écrits au XIIe siècle sous les formes « Perogiae » ou « Peroges », tandis que l’appellation moderne « Pérouges » ne se fixe qu’au XVIIIe siècle. Les hypothèses d’une « pierre rouge » ou d’un lien avec Perugia (Pérouse) existent mais restent discutées. Le nom, documenté au Moyen Âge sous des formes anciennes, a nourri plusieurs hypothèses étymologiques. Mais ces débats ne sont pas l’essentiel : l’important, c’est la cohérence d’une position stratégique sur la “côtière” de la Dombes, trait d’union et ligne de crête entre terroirs.
En somme, la toponymie est mouvante et l’implantation durable sur l’éperon relève surtout des XIIe–XIIIe siècles, tandis que l’Antiquité renvoie plutôt à la plaine et aux itinéraires alentours.
Période gallo-romaine à Pérouges
La période gallo-romaine à Pérouges se lit surtout “en creux” : peu de structures monumentales sont aujourd’hui visibles sur l’éperon où s’élèvera plus tard la cité médiévale. Les indices archéologiques et toponymiques déplacent le regard vers la plaine de l’Ain et les voies régionales qui menaient à Lugdunum (Lyon). La nécropole de la Croix Tombée, occupée du Néolithique à l’époque mérovingienne, atteste une continuité humaine ancienne dans la plaine plutôt que sur la hauteur actuelle, ce qui cadre avec une occupation gallo-romaine à proximité des axes et des terres faciles, avant le repli fortifié médiéval sur le mamelon.
Côté réseau, des témoignages secondaires rapportent qu’un point haut dans le secteur servait de repère le long d’une route contrôlant l’accès à Lyon, ce qui est cohérent avec la logique romaine d’orientation et de sécurisation des trajets entre Lugdunum et les marges orientales. Cette fonction de balisage, plus modeste qu’un castrum, éclaire une présence organisée sans nécessairement supposer une ville sur l’éminence actuelle.
En pratique, cela signifie que “Pérouges gallo-romaine” fut probablement une mosaïque d’exploitations rurales (villae et parcelles), de nécropoles en lisière d’occupation, et de points de repère/contrôle liés aux routes, avec une densité plus forte dans la plaine. Le basculement sur l’éperon au Moyen Âge marque un changement d’usage du relief : de repère/occupation diffuse à ville fortifiée structurée.
Le territoire de Pérouges montre donc des traces d’occupation très anciennes, de la préhistoire à l’époque mérovingienne, notamment à la nécropole de la Croix Tombée, située dans la plaine de l’Ain, signe que les premiers établissements permanents n’étaient pas sur l’éminence actuelle.
Période mérovingienne à Pérouges
L’époque Mérovingienne (Ve-VIIIe siècle), en bord de l’ancien lit du Longevent, nous a laissé 58 tombes ou fosses funéraires. Elles ont délivré quelques merveilles, alors que le site n’est pas totalement fouillé. La période mérovingienne à Pérouges n’est pas un chapitre spectaculaire de grands monuments, mais un feuilletage discret de tombes, d’habitudes rurales et de routes qui relient la plaine de l’Ain à Lugdunum. Elle éclaire la continuité d’occupation du territoire avant le “repli” médiéval sur l’éperon fortifié.
Bien avant les remparts, le pays de Pérouges vit au rythme des champs. Aux VIe–VIIe siècles, la nécropole de la Croix Tombée, en plaine, révèle des inhumations orientées à l’est et un mobilier discret : boucles de ceinture, perles de verre, petits couteaux qui disent la modestie d’une communauté rurale déjà christianisée. L’éperon, alors, n’est qu’un repère dans le paysage : l’habitat se disperse au pied, le long des axes vers Lugdunum. Il faudra attendre le Moyen Âge central pour que le sommet devienne ville, que les chemins deviennent portes, et que la mémoire des campagnes se change en murailles.
Ce que disent les vestiges
La Nécropole de la Croix Tombée en plaine, au pied de l’éperon, non dans la cité haute. Du Néolithique à l’époque mérovingienne, avec plusieurs tombes attribuables au VIe–VIIe siècles. Inhumations orientées est-ouest, témoignant d’une christianisation affirmée, parfois avec dépôt d’objets modestes. Mobilier funéraire typique avec des perles en pâte de verre, éléments de colliers. Boucles de ceinture en métal, garnitures de baudrier, plaques-boucles. Couteaux, parfois fibules tardives réemployées; les dépôts restent sobres, cohérents avec des populations rurales.
Traces d’habitat diffus, un semis d’exploitations (villae tardo-antiques devenues fermes), ateliers agricoles, et greniers en périphérie des nécropoles. De préférence pour la plaine (sols, eau, voies), plutôt que le sommet, qui ne deviendra pôle urbain qu’aux XIIe–XIIIe siècles. Autorités locales issues d’anciens notables gallo-romains convertis en élite mérovingienne, percevant redevances et organisant la mise en valeur. Liaisons vers Lugdunum et la Bresse; passage de marchandises ordinaires (sel, tissus, poteries communes).
Du temps des nécropoles de plaine et des exploitations dispersées, Pérouges bascule, aux XIIe–XIIIe siècles, vers un habitat groupé et fortifié sur l’éperon.”
Pérouges au Moyen Âge : naissance de la cité médiévale
Ce n’est pas qu’une période : c’est le moment où Pérouges devient vraiment “ville”. Entre souverainetés qui se renversent, chartes qui libèrent, métiers qui s’organisent et murs qui se dressent, l’éperon se transforme en cité. Si l’histoire de Pérouges remonte avant l’époque romaine, c’est surtout au Moyen Âge que le village prend son essor. L’implantation sur l’éperon actuel est raisonnablement datée des XIe–XIIIe siècles, dans le cadre de la seigneurie d’Anthon. La première mention d’un château remonte à ce contexte, Pérouges adoptant rapidement un rôle défensif sur la côtière de la Dombes.
Les seigneurs d’Anthon à Pérouges sont la première empreinte seigneuriale lisible sur l’éperon: avec eux, Pérouges passe du repère de crête à la place forte naissante. Le château et la cité de Pérouges sont alors entre les mains de Guichard d’Anthon vers 1130, en fief des comtes de Forez et de Lyon. La position sur la “côtière” devient un verrou qui surveille et taxe les circulations entre plaine de l’Ain et Lyonnais. Au XIIe siècle, les sires d’Anthon installent Pérouges dans la durée !
Pérouges est explicitement utilisée comme forteresse en 1167, le seigneur d’Anthon s’y retranche face aux troupes de l’archevêque de Lyon. L’éperon n’est plus seulement un habitat perché, c’est un outil de pouvoir et de résistance. Un acte entre le comte de Forez/Lyon et l’Église de Lyon mentionne le château de Pérouges “que Guichard d’Anthon tenait en fief”, signe d’un nœud féodo-ecclésial où Anthon s’inscrit comme vassal puissant mais dépendant. Ce jeu d’alliances explique la plasticité des tutelles autour du site. Les relations avec Forez, Lyon, puis l'église et les princes voisins, cette diplomatie féodale ouvre la voie aux chartes et à l’autonomie urbaine ultérieures.
La tradition locale attribue à Guichard Ier d’Anthon l’octroi des armes “de gueules, à un dragon d’or”, en reconnaissance du courage des habitants, rattachements qui cimentent une identité civique précoce autour du pouvoir seigneurial. Le récit héraldique autour du dragon d’or, encore repris aujourd’hui, ancre la fierté locale dans une mémoire de courage et de résistance.
Pérouges en 1167
1167 n’est pas une anecdote isolée à Pérouges, c’est un instantané d’une lutte de pouvoirs autour de Lyon. Cette année-là, le seigneur d’Anthon se retranche dans la forteresse de Pérouges pour résister aux troupes de l’archevêque de Lyon, confirmant la fonction militaire du site et son importance comme « verrou » sur la côtière. L’épisode atteste l’usage défensif de l’éperon dès le XIIe siècle et inscrit Pérouges dans les tensions entre pouvoirs laïcs régionaux (Anthon, Forez/Lyon) et l’autorité ecclésiale lyonnaise.
Idéalement située sur un promontoire, Pérouges bénéficie d’une position défensive de choix. Le seigneur d’Anthon se réfugie dans la place forte pour faire face à l’ost de l’archevêque. Cela consacre Pérouges comme citadelle-refuge opérationnelle, et pas seulement comme habitat perché. Depuis le début du XIIe siècle, Pérouges est tenue par les Anthon en fief des comtes de Forez/Lyon, ce qui explique l’implication directe de l’archevêque (puissance temporelle à Lyon) dans les affrontements de la décennie 1160. Quelques années plus tard, un acte de permutation (1173) mentionnera encore Pérouges « tenue en fief » par Guichard d’Anthon, montrant la continuité de la seigneurie et la valeur stratégique du château au-delà de l’épisode de 1167.
Les années 1160 voient s’entrecroiser conflits entre l’archevêque (autorité spirituelle et temporelle) et des lignages féodaux liés au Forez/Lyon. Pérouges, poste de crête sur les liaisons vers la plaine de l’Ain et le Lyonnais, devient un point d’appui pour Anthon dans cette rivalité. L’« usage de forteresse » signalé en 1167 est typique des places secondaires qui protègent des couloirs de circulation et des droits de passage.
L’enceinte proto-castrale et le relief expliquent que l’on puisse soutenir un retrait, contrôler les accès et négocier à partir d’une position tenue. Cet usage militaire précède la grande phase d’urbanisation médiévale, qui s’affirme surtout aux XIIIe–XIVe siècles. Pour résister en 1167, Pérouges devait disposer d’un noyau castral et d’ouvrages défensifs suffisants (murs, portes, espaces de repli), même si les remparts que l’on voit aujourd’hui datent surtout des XIVe–XVe siècles.
L’épisode nourrit la mémoire locale d’une « petite république de murailles » capable d’autodéfense, mémoire relayée par la tradition héraldique (le dragon d’or associé aux Anthon et aux habitants) et par l’importance que garderont plus tard les milices bourgeoises. Le fait que Pérouges serve déjà d’atout stratégique en 1167 aide à comprendre pourquoi la place sera convoitée, puis rattachée successivement au Dauphiné, à la France et à la Savoie au XIVe siècle.
De cette épreuve de force naît une vocation : Pérouges restera une place de frontière, renforcée et organisée jusqu’aux remparts des XIVe–XVe siècles. Même si Pérouges sera surtout une ville de métiers sans cour princière, l’impulsion initiale : château, murs, fiscalité de passage vient des Anthon. Elle structure durablement le parcellaire, les portes et la culture du guet. Le choix de l’éperon, la vocation défensive, les premiers aménagements castraux. Ces décisions fondent le plan elliptique et la logique des deux portes qui survivront aux siècles.
Une cité née des tisserands et des paysans
Dès le XIIᵉ siècle, il devient une petite cité prospère grâce à son activité artisanale, notamment le tissage du lin et du chanvre. Les familles de tisserands et de cultivateurs font la réputation de Pérouges, qui s’impose comme un centre économique local.
Au XIIIe siècle, par mariage, château et seigneurie passent des Anthon à la maison de Genève ,puis aux Dauphins en 1319. Pérouges quitte définitivement l’orbite directe des Anthon. Pérouges échoit donc aux Dauphins de Viennois, amorçant une séquence de bascules que la première phase Anthon avait préparée en fortifiant le lieu.
Au XIVᵉ siècle, elle se dote de puissants remparts pour se protéger des convoitises. Ses portes fortifiées, ses tours de guet et ses ruelles étroites témoignent encore de cette fonction militaire. À l’époque, la cité appartient aux Dombes, un territoire souvent disputé entre le royaume de France et celui de Savoie. Pérouges changera plusieurs fois de suzeraineté, ce qui explique l’importance de ses fortifications.
A cette époque, Pérouges obtient des franchises, dont une grande charte qui sécurise les droits des habitants, fixe la justice locale et garantit un cadre propice au commerce. Dans un monde de redevances et d’allégeances, ces libertés urbaines sont un capital politique autant qu’économique. Elles permettent au bourg de fédérer un tissu d’artisans : tisserands, fileuses, marchands de toiles et d’asseoir un marché régulier.
La topographie épouse cette vitalité. Les maisons profondes, parfois à pans de bois, s’alignent sur des rues pavées en pente douce. Les remparts, renforcés aux XIVe–XVe siècles, dessinent une carapace urbaine compacte. Ici, point de faste princier, mais la dignité d’une cité de métiers : l’odeur des fibres humides, le claquement des navettes, la discipline discrète d’un savoir-faire transmissible.
Entre Dauphiné, Savoie et royaume de France
En 1349, le Dauphiné est transporté à la France, puis, en 1354, Pérouges sera échangée avec le comte de Savoie, devenant un poste avancé savoyard. Ces bascules politiques, typiques des zones de marche, forgent une identité faite de pragmatisme et d’autonomie locale, où l’organisation communale et la solidarité des métiers jouent un rôle clé.
Après les bascules du XIVe siècle, Pérouges relève donc du comté de Savoie. A la fin du XVe siècle, le château et la cité sont dans la main de Philippe de Bresse, futur duc de Savoie (Philippe II). Depuis le passage à la Savoie au milieu du XIVe siècle, les comptes de châtellenie se structurent. Ils documentent, au XVe, la gestion des fortifications, des recettes de marché et des obligations militaires, faisant de Pérouges une petite capitale locale du pays de Meximieux. Les courtines et tours qui ceignent encore la cité sont parachevées. Elles organisent un plan elliptique, deux portes principales, des poternes et des parcours de ronde adaptés aux alertes. Le XVe siècle est un temps de consolidation pour Pérouges : murs achevés, identité savoyarde affirmée, économie artisanale soutenue par un cadre administratif précis. La ville vit en place frontière et sait se faire respecter.
L'année 1468 est une épreuve décisive pour la cité fortifiée. Pérouges repousse une offensive venue du Dauphiné. une attaque d’environ deux mille hommes conduits par le sire de Comminges, gouverneur du Dauphiné. L’épisode consacre la valeur défensive de la place et la cohésion de ses milices bourgeoises. On connaît les grandes lignes de l’attaque de 1468 contre Pérouges, mais peu de détails fermes : le siège est attesté, sa durée et son effectif exact restent discutés. Voici une reconstitution claire des épisodes, en croisant les éléments les plus crédibles.
Louis XI contre l’axe Savoie–Bourgogne: En 1468, Louis XI lance des opérations en Bresse et autour, car le duc de Savoie s’est rapproché de Charles le Téméraire (axe Savoie–Bourgogne). Louis XI cherche à contenir Charles le Téméraire. La Savoie, désormais proche de la Bourgogne, offre aux Bourguignons un flanc oriental. Pérouges, place savoyarde, devient une cible de neutralisation dans cette rivalité. Le gouverneur du Dauphiné agit comme bras armé du roi à l’est du royaume, avec pour mandat de briser le maillage savoyard en Bresse et sur la côtière de la Dombes. Le gouverneur du Dauphiné, le sire de Comminges, conduit l’offensive régionale, dont Pérouges fait les frais.
Pérouges contrôle des couloirs de circulation entre la plaine de l’Ain, la Bresse et le Lyonnais. La prendre ou la faire capituler, c’est desserrer l’étau savoyard autour de la métropole royale. C'est neutraliser les postes de crête (portes, tours, relais) qui servent au guet, aux communications et aux convois, afin d’isoler les garnisons voisines. Dans une campagne-éclair, on cherche à faire tomber les petites cités fortifiées pour ouvrir des routes à l’artillerie et au ravitaillement royal. Comme souvent, l’Ost espère financer l’opération par levées, amendes et prises de vivres ; une ville réputée prospère (marché, artisanat textile) est une cible rentable.
Un succès devant Pérouges aurait signifié que la loi du roi s’impose jusque sur les marges savoyardes. C'est faire un exemple pour intimider d’autres bourgs frontaliers hésitant entre neutralité et soutien à la Savoie. La chute d’un nœud aussi lisible devait entraîner des redditions en chaîne à proximité. L’échec de 1468 a, au contraire, ralenti la progression dauphinoise et renforcé la réputation de la place. Sa réputation de “ville imprenable” se forge précisément dans cet épisode, que la tradition locale commémore ensuite sur la porte d’En-Bas.
Comminges se présente devant la cité avec une force évaluée par la tradition à environ deux mille hommes; l’encerclement et la tentative d’investissement s’organisent depuis les pentes viticoles et les chemins d’accès au sud et au sud-ouest. Les sources admettent cependant que ces chiffres et la durée précise du siège ne sont pas assurés, mais parlent d’une pression pouvant aller jusqu’à six semaines.
Les attaques s’appuient sur les approches naturelles (Péage, la Glaye, vignes des Chevalières, verges de l’Olivet, balmes de la Grâce), permettant de couvrir la porte d’En-Bas et les courtines méridionales. Les années 1460 voient l’emploi accru de bombardes et couleuvrines contre les courtines médiévales; Pérouges sert aussi de “banc d’essai” régional. L’artillerie dauphinoise éprouve les murailles orientées au sud; une brèche est mentionnée par la tradition, dans le “quartier de la Brèche,” signe d’un bombardement suffisant pour tenter un assaut frontal. Les Pérugiens tiennent la ligne avec arbalètes (carreaux), couleuvrines, trébuchets et veuglaires pour tenir les réserves à distance, formant un volume de feu qui complique l’exploitation de la brèche.
“Ils ont emporté les portes et les gonds” : Une inscription lapidaire commémorative, placée ultérieurement au-dessus de la porte d’En-Bas, narre que “les coquins dauphinois” n’ont pu prendre la ville, mais ont emporté les vantaux, gonds et ferrures, dans la déroute. Le texte, devenu célèbre, scelle la mémoire locale de l’échec de l’assaut. Récit semi-légendaire mais ancré: les vantaux auraient été laissés à l’extérieur lors du verrouillage, permettant aux assaillants de s’en saisir sans pouvoir forcer l’entrée, transformant la prise en dérision publique.
Une tradition rapporte la construction hâtive d’un mur de brique pour contenir la poussée sur la brèche et absorber les tirs; cette “rustine” aurait surpris les assaillants et contribué à leur retrait, épisode cité par la littérature locale moderne. L’essentiel de la défense incombe aux habitants, renforcés au besoin; la constance des feux et la tenue des tours découragent les tentatives d’escalade et d’enfoncement.
Malgré brèche et pression, Pérouges ne capitule pas. La durée exacte demeure inconnue, mais l’issue ferme la séquence: retrait des Dauphinois, maintien de la place. En reconnaissance, le duc de Savoie accorde vingt ans d’exemptions fiscales (fouage, péages, gabelles, etc.), consolidant la mémoire d’une “victoire civique” de la communauté pérugienne.
La cité résiste victorieusement à une attaque du gouverneur du Dauphiné, signe de ses solides défenses. Derrière l’épisode héroïque, il y a une logique froide de géopolitique et de logistique. Pérouges n’était pas visée pour elle-même, mais pour ce qu’elle verrouillait. La résistance de 1468 et la tutelle de Philippe de Bresse ancrent l’image d’une petite cité sûre d’elle à la marge des puissances voisines.
Au XIVe siècle, le bourg passe dans l’orbite du Dauphiné, puis frôle la couronne de France avant d’être échangé au comte de Savoie. Ce jeu d’échelles, si fréquent dans les zones de marche frontalière, n’est pas une simple anecdote diplomatique : il façonne les réflexes d’autonomie, la prudence fiscale, la pratique de la négociation. La ville apprend à défendre ses portes, à lever des hommes, à entretenir ses murs. Un épisode cristallise cet esprit de “petite république fortifiée” : au XVe siècle, Pérouges repousse une attaque venue du Dauphiné. Plus qu’un fait d’armes, c’est un symbole : les habitants savent tenir ensemble quand la souveraineté se discute à quelques lieues.
Des chartes de franchises jalonnent le XIVe siècle, dont une “grande charte” datée de 1343 qui sécurise l’essor économique local. Le bourg devient un petit centre administratif et commercial du pays de Meximieux, doté d’un marché hebdomadaire.
Le fil d’un âge d’or
Pérouges prospère au Moyen Âge grâce au tissage et à la culture de la toile, activités phares d’une ville d’artisans où aucun seigneur n’impose sa cour sur la place forte. Ce tissu économique dense soutient les maisons de la cité et son réseau commerçant régional. Les remparts des XIVe–XVe siècles et un rare ensemble de maisons médiévales témoignent encore aujourd’hui de cette prospérité défensive et des savoir-faire locaux, expliquant la conservation exceptionnelle du site.
Les toiles de Pérouges, robustes et recherchées, circulent dans les marchés régionaux. La prospérité ne se mesure pas seulement aux balances et aux chiffres, mais à la qualité du bâti qui nous est parvenu. Les façades étroites ouvrent sur des intérieurs profonds, les passages voûtés ménagent des raccourcis, les puits ponctuent l’espace public. La place de la Halle, au centre, fonctionne comme une scène civique : c’est là que l’on marchande, que l’on annonce, que l’on se reconnaît.
Le tissage et la toile demeurent la base de l’économie locale; les franchises antérieures continuent de soutenir le marché hebdomadaire, qui structure l’approvisionnement du territoire voisin. Pavés de galets de l’Ain, maisons profondes mêlant pierre et pans de bois, rez-de-chaussée d’échoppes sur rue. Le tissu bâti que l’on voit aujourd’hui hérite largement des investissements des XIVe–XVe siècles. Le châtelain et les officiers gèrent droits de péage, police du marché, entretien des murs; la fiscalité finance l’artillerie légère, les réparations de portes et l’armement des postes. La place de la Halle (actuelle place du Tilleul) concentre les annonces publiques, la tenue du marché et les rassemblements; l’église, intégrée au système défensif, sert aussi de refuge en cas d’alerte.
Les remparts, ceints de tours et de portes, ne sont pas un simple folklore de pierre. Ils témoignent d’une société qui investit dans sa sécurité collective. À chaque assise de galet, on lit l’insistance d’un projet urbain : durer malgré les guerres, les pestes, les changements de dynastie. L’essentiel du “décor” médiéval : murs, portes, trame viaire, façades d’artisans est stabilisé à l’issue du XVe siècle, ce qui explique la lecture urbaine encore possible aujourd’hui.
Déclin et renaissance de Pérouges
À partir du XVIIᵉ siècle, Pérouges connaît un lent déclin. Comme nombre de bourgs fortifiés, Pérouges connaît à l’époque moderne un déclin progressif, lié aux mutations des routes, des économies locales et aux aléas politiques et militaires. La concurrence des villes voisines, comme Meximieux, et l’exode rural entraînent une chute démographique importante. Au XIXᵉ siècle, la cité n’abrite plus que quelques familles et sombre peu à peu dans l’oubli.
En 1911, la création du Comité de sauvegarde et de conservation du Vieux Pérouges lance un patient chantier de restauration qui redonne vie à la cité. Cette mobilisation citoyenne et patrimoniale deviendra un cas d’école de conservation en France. Au début du XXe siècle, elle est presque abandonnée. Il faudra attendre le début du XXᵉ siècle pour que Pérouges renaisse. Classée monument historique en 1911, elle bénéficie de campagnes de restauration qui redonnent vie à ses maisons médiévales. On documente, on consolide, on restaure. La démarche est pionnière : elle devance de plusieurs décennies la prise de conscience patrimoniale large en France. Au fil du siècle, la cité retrouve son souffle, sans travestir son identité. La réhabilitation s’appuie sur l’existant, respecte les volumes, les matériaux, les usages.
À l’époque moderne, la donne change. Les routes se déplacent, les économies se recomposent, le tissage local perd du terrain face à d’autres bassins. Comme beaucoup de bourgs fortifiés, Pérouges glisse vers un déclin silencieux. Au tournant du XXe siècle, nombre de maisons menacent ruine. On pourrait croire l’histoire terminée, archivée dans quelques cartes postales jaunies.
Pérouges durant la Seconde Guerre mondiale
Il n’y a pas, à ma connaissance, de “grand fait d’armes” connu nationalement sur le périmètre même de Pérouges (bataille, combat de rue ou siège) comparable aux hauts faits de l’Ain (Maquis de l’Ain et du Haut-Jura) entre 1943 et 1944. Le village a davantage traversé la guerre au rythme des réquisitions, des passages de troupes, de contrôles et des tensions liées à la Résistance dans le département, avec une Libération qui s’inscrit dans le mouvement régional à la fin de l’été 1944.
Pérouges et ses alentours ont vu des cantonnements ponctuels, des réquisitions de vivres et du matériel, ainsi que des contrôles sur les axes de circulation vers Meximieux et Lyon. L’activité majeure se concentre dans les massifs et plateaux du département (Bugey, Haut-Jura, plateau d’Hauteville). Pérouges a pu servir de relais discret (hébergement, ravitaillement, boîtes aux lettres) plutôt que de théâtre d’accrochages lourds. Comme partout, risques d’arrestations individuelles (résistants présumés, réfractaires au STO), perquisitions, et parfois petites rafles, sans trace notoire d’un affrontement local d’envergure.
La zone de la Plaine de l’Ain est libérée dans le sillage des opérations alliées et des FFI fin août–début septembre 1944, souvent sans combats prolongés dans les bourgs secondaires.
Pérouges aujourd’hui : un patrimoine vivant
Aujourd’hui, Pérouges est une cité médiévale magnifiquement préservée, où chaque ruelle raconte une page d’histoire. La place du Tilleul, le cœur du village, est dominée par son arbre planté en 1792, symbole de la Révolution française. Les visiteurs y découvrent aussi l’église-forteresse, des auberges aux enseignes anciennes et la célèbre galette de Pérouges, spécialité locale à base de pâte briochée et de sucre.
La cité attire un public curieux de comprendre comment l’on vivait, travaillait, commerçait derrière des murs épais. Pérouges n’est pas qu’une visite ; c’est une pédagogie de la ville ancienne. On y apprend ce que veut dire circuler à pied, partager l’espace, lire des traces. Les festivals, les ateliers, les visites guidées ajoutent des voix contemporaines aux pierres anciennes.
Entre patrimoine architectural, mémoire des artisans tisserands et traditions culinaires, Pérouges incarne la rencontre réussie entre passé et présent. Une étape incontournable pour quiconque souhaite plonger dans l’histoire vivante de l’Ain et du Dauphiné. Classée parmi les Plus Beaux Villages de France, la cité cumule plusieurs dizaines de protections au titre des monuments historiques et accueille un public nombreux (plus de 260 000 visiteurs en 2010), attestant de son attractivité durable. Cette fréquentation, exigeante à gérer, est aussi une chance. Elle finance l’entretien, soutient les artisans, et rappelle que le patrimoine n’existe que s’il est habité—par des habitants, des métiers, des regards. À une trentaine de kilomètres de Lyon, le détour est une expérience : entrer par la porte fortifiée, sentir les pavés sous les semelles, lever les yeux vers une enseigne forgée, et entendre l’écho de siècles superposés.
Pérouges raconte comment une petite ville peut traverser les siècles en restant fidèle à ses habitants. Franchises, métiers, murailles, puis l’élan d’une sauvegarde collective : tout y parle de responsabilité partagée. Et c’est peut-être cela, au fond, la vraie leçon de ce village perché, la beauté naît autant des pierres que de la volonté de les porter ensemble.
Principaux vestiges archéologiques et patrimoniaux à Pérouges
Pérouges est surtout remarquable pour son ensemble médiéval exceptionnellement conservé: murailles des XIVe–XVe siècles, nombreuses maisons médiévales, et près de 80 édifices protégés au titre des Monuments historiques. Cet ensemble forme un tissu urbain cohérent sur l’éperon de tuf dominant la plaine, ce qui en fait un site majeur de l’Ain et l’un des plus visités du département.
Les murailles datent des XIVe–XVe siècles et structurent encore le pourtour de la cité, avec ses accès fortifiés qui encadraient la vie urbaine médiévale. La ville épousant la forme de l’éperon ancien présente un plan en ellipse; ses rues sont pavées de galets de la plaine de l’Ain, avec caniveau central d’évacuation, témoignant d’un savoir-faire urbain médiéval durablement lisible sur le terrain.
Pérouges a conservé un grand nombre de maisons médiévales, avec pans de bois, encorbellements, façades en pierre de tuf, calcaire et galets, ainsi que des éléments remarquables comme fenêtres à meneaux, baies cintrées ou ogivales, et anciennes devantures de commerce en bois. La Place de la Halle (place du Tilleul), cœur de la cité, elle concentre des façades emblématiques et le célèbre tilleul planté en 1792, devenu un repère paysager et historique du site.
L’église, intégrée au système défensif, illustre la double fonction cultuelle et militaire fréquente dans les bourgs médiévaux frontaliers, et constitue l’un des marqueurs les plus visibles du paysage bâti de Pérouges. La cité compte environ 80 édifices protégés (classés ou inscrits), traduisant la valeur archéologique et architecturale de l’ensemble; la restauration engagée dès le début du XXe siècle a permis la conservation lisible des structures anciennes. Ce patrimoine intact explique sa forte fréquentation touristique et sa place parmi les Plus Beaux Villages de France, renforçant la lisibilité publique des vestiges et de l’urbanisme médiéval sur site.
À voir en priorité lors d’une visite à Pérouges
- Remparts et portes pour comprendre la défense.
- Rues pavées aux galets et le plan en ellipse pour lire la ville médiévale “au sol”.
- Maisons à pans de bois et à encorbellement avec détails de menuiserie et de pierre.
- Église fortifiée comme pivot défensif et spirituel.
- Place de la Halle et tilleul comme scène civique et mémoire du lieu.
Festivités historiques à Pérouges
Pérouges vit son patrimoine au présent. Voici les rendez-vous qui replongent la cité dans l’Histoire et valent le détour.
- Fête médiévale. Deuxième week end de juin. Reconstitution sur un week end avec campements, artisans d’époque, combats chorégraphiés, musiques et défilé en costumes.
- Marché médiéval, spectacles de fauconnerie ou de feu, crieur public, ateliers démonstratifs (forge, tissage, cuisine).
Conseil pratique : Venir tôt, réserver stationnement navette si proposé, et prévoir chaussures adaptées aux pavés.
Visites et animations patrimoniales
- Visites guidées costumées : Parcours menés par des guides en habits, centrés sur remparts, métiers d’antan et vie quotidienne médiévale.
- Ateliers savoir faire : Démonstrations ponctuelles (taille de pierre, travail du fer, fibres et teintures) selon programmation locale.
- Balades contées nocturnes : Soirées d’été où l’histoire du bourg se raconte à la lueur des lanternes.
- Spectacle de feu (samedi soir) : Grand show nocturne sur la lice, ambiance immersive et photos magiques au crépuscule.
- Grand défilé (dimanche) : Nobles, hommes d’armes, gueux et musiciens envahissent les pavés; c’est l’apothéose du week end.
- Combats et fauconnerie : Joutes chorégraphiées, rapaces et chevaux; le cœur battant de la reconstitution vivante.
- Crieur public : Annonces et apartés gouailleurs qui donnent le ton et relient les temps forts de la journée.
- Marché médiéval d’artisans : Pièces uniques, démonstrations de savoir faire, échanges avec des passionnés en costume.
- Camps de reconstitution: Forgerons, cuisines de camp, vie quotidienne; parfait pour comprendre et photographier les gestes d’époque.
Marchés et temps forts saisonniers
- Marché de Noël historique : Échoppes artisanales, mise en scène des ruelles, chorales et gourmandises locales dans l’esprit “vieille ville.”
- Fêtes de village à thème : Journées dédiées à une tradition locale (par exemple la rose de Pérouges) avec animations patrimoniales et démonstrations.
Événements connexes
- Festival musical “Printemps de Pérouges” : Pas un événement historique à proprement parler, mais souvent accueilli dans des cadres patrimoniaux, offrant un bel écrin aux concerts.
- Reconstitutions ponctuelles : Petits rassemblements de troupes médiévales ou Renaissance selon les années.
Astuces pour en profiter
- Préparer la visite : Vérifier l’agenda communal/office de tourisme pour les dates exactes et éventuels billets coupe file.
- Photogénique mais fragile : Éviter de s’asseoir sur les parements, respecter les joints des pavés, privilégier les artisans locaux.
- Accès et stationnement: Parkings extérieurs fléchés + navettes. Arrivez avant 10:00 ou après 16:00 pour éviter l’affluence.
- Billetterie : Entrée souvent payante sur zone. Prévoyez un peu d’appoint; certains stands prennent le sans contact mais pas tous.
Nos coups de cœur à Pérouges
Hébergement :
Restauration :
Les dernières news touristiques
N'oubliez pas !
Par respect pour les habitants et l'environnement, merci de respecter les panneaux signalétiques et consignes. Merci de respecter le droit de propriété et de ne pas pénétrer sur les terrains privés :
- Observez le code de la route en tous lieux et en toutes circonstances, et soyez courtois avec les autres usagers que vous pourrez croiser sur votre chemin.
- Camping et Feux interdits (pas de barbecue)
- La nature est fragile et des chutes de pierres sont parfois fréquentes.
- Veuillez ramasser vos déchets avant de partir.
- Plus que les sacs plastiques ou les pailles, ce sont les mégots de cigarettes qui pollueraient le plus les océans. les filtres à cigarettes se dégradent très lentement. Deux ans en moyenne.
- L'un des "petits gestes élémentaires" à accomplir : ne plus jeter ses mégots par terre. Pensez boite à mégots !
Préparez vos vacances à Pérouges avec nos partenaires
Trouver un séjour à Pérouges avec nos partenaires
Ajouter un commentaire